« Déjà demain » ; c’est le nom de la démarche prospective initiée par le cluster d’entreprises « Le Damier », à Clermont-Ferrand, à laquelle le TMNlab a eu le plaisir de participer en 2024. L’ambition de cette démarche – « Accompagner la filière culturelle et créative et ses acteurs vers une transformation soutenable et résiliente de leur modèle » – s’inscrit dans la continuité de notre diagnostic « Compétences & Métiers d’avenir ».
Au lendemain de la restitution de ces ateliers, en janvier 2025 ; Matty Raphanaud, Responsable Innovation & Transformation au DAMIER, et Marie-Cécile Godwin, designer et facilitatrice, reviennent sur cette initiative, ses objectifs et ses principaux enseignements.
Comment est née la démarche « Déjà Demain » au Damier ? Quels étaient vos constats et vos intuitions ?
Matty Raphanaud (Le Damier) :
« Depuis 2021, au Damier, nous nous sommes fortement positionnés sur les enjeux de transition écologique, avec la volonté de sensibiliser nos adhérents et de les inviter à se saisir d’un sujet qui agitait déjà l’ensemble des secteurs économiques. On a commencé par mettre en place différents dispositifs autour de la RSE, puis spécifiquement sur la transition écologique dans le secteur culturel et créatif. Quelques exemples : un cycle d’atelier RSE, des rencontres professionnelles, des accompagnements collectifs, un engagement dans une démarche de labellisation “événement éco-engagé” niveau 1 et 2 du Réseau Éco-Événement, ou la création de la Fresque de La Culture en collaboration avec le Cercle Thématique Culture des Shifters et le soutien de l’ADEME.
Ces sujets ont transformé notre structure en profondeur. Fin 2023, à l’heure de l’écriture de notre nouveau projet d’activité triennal, nous avons instaurer une nouvelle mission au sein du Damier. Jusqu’alors articulée autour de 4 axes – Fédérer, Développer, Promouvoir et Innover -, nous avons choisi de traiter le sujet de l’accompagnement aux transitions économiques, sociales et environnementales, dans le cadre d’un cinquième axe : Transformer.
Dès lors, plusieurs dispositifs ont été lancés dès janvier 2024 : un CLUB RSE dédié à nos adhérents, l’évolution et la diffusion de la Fresque de La Culture, le lancement d’une Promotion Climat, la création d’un espace ressources, et le lancement de la démarche « Déjà Demain ».
Au départ, nous avons pensé la démarche « Déjà Demain » pour explorer sous l’angle prospectif une thématique unique ; celle de l’évolution des métiers et des compétences culturelles à l’aune de la transition écologique. Un sujet que nous avions identifié comme prioritaire dès 2023 (et la rencontre professionnelle LUX2023), et avec lui un constat : penser stratégiquement et opérationnellement la transformation écologique des structures culturelles n’est pas sans incidences sur les métiers occupés au sein des organisations.
Chemin faisant, nous nous sommes rendu compte que nous touchions également du doigt d’autres sujets prospectifs à explorer pour aborder la transformation écologique du secteur culturel de manière systémique : nouveaux modèles économiques, nouveaux modes de gouvernances, etc. Fort de ces observations, nous avons finalement opté pour une démarche prospective globale visant, déclinée en saisons thématiques dédiée aux types de mutation face aux transitions.
La première saison s’est donc lancée en juin 2024, autour du premier sujet identifié : l’évolution des métiers et des compétences culturelles à l’aune de la transition écologique.
A ce stade, nous savions où nous souhaitions atterrir : disposer des éléments nécessaires pour créer de nouveaux dispositifs qui permettraient d’accompagner les évolutions identifiées. Sans connaître le chemin : quel départ, quelles étapes, quelle méthodologie ? Mais avec quelques idées et intuitions en tête : un mode collaboratif et intersectoriel, l’apparition de nouveaux métiers et la disparition de certains ! »
Comment avez-vous conçu ce cycle d’ateliers ? Quelles étaient les hypothèses ? Les objectifs ? Pourquoi avoir adopté cette démarche de design thinking ?
Matty Raphanaud (Le Damier) :
« Nous avons choisi de travailler avec Marie-Cécile Godwin, designer, sur les recommandations d’un proche partenaire : Emmanuel Bonnet – enseignant-chercheur (ESC Clermont, ClerMA et Origens Media Lab) autour des questions d’anthropocène, de redirection écologique et de management des organisations. Au début de notre collaboration, le cadre que nous avions posé du côté du Damier était délimité par le nombre de formats que nous souhaitions organiser, les instances de travail et de gouvernance que nous souhaitions mettre en place, et les objectifs que nous voulions atteindre : un atelier de lancement, la mise en place d’un comité de pilotage plutôt institutionnel, et la création d’un groupe de travail prospectif qui se réunirait à l’occasion de différents ateliers, afin d’explorer progressivement la manière dont la transition écologique transforme les métiers culturels et créatifs.
Du côté du DAMIER, nous n’avions pas forcément d’hypothèses clairement posées mais nous avions le sentiment que la transition écologique impliquerait nécessairement l’apparition de nouveaux métiers d’une part, et la disparition de certains métiers existants d’autre part. Un sentiment conforté par notre expérience et par les observations réalisées sur d’autres dispositifs mis en place (La Promotion Climat).
De ce point de départ, nous avons travaillé main dans la main avec Marie-Cécile, avec le défi de construire une série d’ateliers cohérents, dont l’enchaînement et la progression des réflexions nous conduiraient à ce que nous espérions, sans pré-définir les résultats attendus à chaque étape. C’est ici que la méthode du design thinking a pris tout son sens, en proposant des outils qui, associés à d’autres outils prospectifs, ont facilité la projection et une souplesse de réflexion. Aussi, et même si nous avions un fil conducteur global, chaque atelier s’est construit sur la base des résultats du précédent temps : troubles et incertitudes face à la transition écologique, impacts, situations de chocs, besoins des professionnelles, tendances et axes de transformations…
Cette méthodologie, quoi qu’ayant suscité quelques moments d’inconfort en raison de l’incertitude qu’elle implique, nous a permis d’identifier des étapes clés au fur et à mesure, et de passer par chacune d’entre elles pour que le résultat final s’appuie autant que possible sur une réflexion systémique. »
Marie-Cécile Godwin (facilitatrice) :
« L’équipe du Damier avait une première idée du rythme à donner à cette première saison de « Déjà Demain ». Mon apport a principalement consisté en la conception du contenu des ateliers et de leur animation, en fonction de l’objectif que nous nous étions donné : explorer ce que fait la transition écologique aux métiers des ICC. Le défi principal était de concevoir une série d’ateliers cohérents dans leur enchaînement, tout en évitant de préfigurer un résultat. L’équipe du Damier m’a fait confiance pour imaginer des formats qui nous ont permis de lier les personnes du groupe autour de troubles et de concernements partagés, d’apprendre de chaque atelier, en équilibrant ce qui était prévu et la possibilité de laisser émerger ce qui tentait d’émerger.
La démarche de design thinking apporte une agilité d’esprit qui permet d’enchaîner les phases de divergence et de convergence : on enchaîne des moments d’exploration et des moments de conception dans un rythme plus ou moins rapide. En matière de méthodes et d’outils, j’ai également mobilisé des concepts que nous utilisons dans la redirection écologique (voir notamment : Héritage et fermeture. Une écologie du démantèlement, E. Bonnet, D. Landivar et A. Monnin, Paris, Divergences, 2021).
Nous avons donc évoqué les notions de troubles ressentis par les participant·es dans leurs métiers et leurs structures, nous avons identifié et décrit des communautés d’intérêts (groupement de personnes aux métiers différents ou transverses mais reliés par leurs vécus, troubles, revendications partagées). J’ai également mobilisé des outils prospectifs comme l’idéation autour de chocs tendanciels déjà présents ou en train d’émerger, pour aider les participants, dans les lieux de décision jusque sur le terrain, à imaginer des scénarios d’amélioration de leur robustesse afin de pouvoir faire face à l’incertitude, en produisant moins de souffrance humaine et non-humaine.
Le dernier atelier a amené le groupe prospectif vers une mise en pratique de tous les enseignements accumulés lors des précédentes sessions : chaque acteur et actrice du programme a pu générer de véritables scénarios prospectifs mobilisant des dispositifs et outils imaginés et/ou existants, ancrés dans le système socio-technique existant tout en prenant en compte les besoins, troubles et revendications des communautés d’intérêts qu’ils et elles représentaient. »
Quels ont été les principaux enseignements pour vous ? Qu’est-ce qui vous a surpris ?
Marie-Cécile Godwin (facilitatrice) :
Je suis toujours fascinée de voir un groupe de personnes se relier pour réfléchir et imaginer ensemble, en tissant au passage des liens inattendus entre elles, et entre des sujets qu’elles n’auraient jamais imaginé être si proches. Ce n’est pas un enseignement, mais plutôt une nouvelle confirmation que l’intelligence collective nous confère une puissance d’être et d’agir. Cette mission dans les Industries Créatives et Culturelles m’a permis de détecter les particularités de ce secteur.
Quant aux découvertes, j’ai adoré voir le résultat d’un exercice de projection donné aux participant·es qui leur proposait de rédiger leur fiche de poste en 2050, illustrant les changements, suppressions, additions et transformations de leurs métiers. Artiste-boulanger·e, directrice de structures mouvantes, animateur·ices de tiers-lieux mobiles… de quoi rêver à un monde différent.
Quant au résultat de l’expérimentation, il est toujours différent de ce qu’on aurait pu imaginer au départ. C’est tout à fait normal, et c’est même le but de la démarche design : mettre en place un cadre suffisamment flexible pour que ce que le groupe imagine puisse émerger. C’est donc toujours un plaisir de découvrir au fur et à mesure ce qui ressort en réponse à nos propositions d’exercices. »
Matty Raphanaud (Le Damier) :
« Pour compléter les propos de Marie-Cécile, au-delà de confirmer la puissance de l’intelligence collective, je dirais que la démarche a également validé l’importance de croiser les compétences et des profils variés pour enrichir la réflexion et challenger les possibles.
Pour ce qui est de l’expérimentation, les enseignements à chaque étape de la démarche ont été divers et variés, mais certains plus surprenants que d’autres. Par exemple, nous avions en quelque sorte anticipé que des métiers allaient apparaître et d’autres disparaître.
Personnellement, la dimension sociale restera toutefois le résultat le plus inattendu. Les analyses effectuées et les résultats obtenus ont montré une forme « d’urgence humaine ».
L’urgence écologique entraîne également une crise sociale, qui met en tension les professionnels et souligne la nécessité de considérer les ressources humaines comme une ressource limitée. Ce constat fait écho à la théorie du Donut, qui invite à trouver un équilibre entre plancher social et plafond écologique. Il s’agit donc d’un véritable axe de transformation stratégique pour le secteur culturel et créatif.
À l’issue de cette démarche, quelle est la prochaine étape pour le Damier ? Que va devenir le contenu de ces échanges, de ces ateliers ?
Matty Raphanaud (Le Damier) :
Du côté du Damier, notre objectif reste inchangé : construire et expérimenter dès 2025 de nouveaux dispositifs d’accompagnement qui permettront de travailler sur les besoins et les axes de transformation qui ont émergé. Nous étudions actuellement la faisabilité d’un accompagnement collectif qui mêlerait Ressources Humaines et transition écologique. Nous aimerions également développer des outils et des formations, inspirés des ateliers de la démarche, qui viseraient à accompagner les professionnel.le.s et les structures du secteur sur le chemin stratégique et opérationnel de leur transformation.
Par ailleurs, nous souhaitions que les résultats de la démarche bénéficient aux partenaires du Groupe de Travail Prospectif. Quelques idées de collaboration sont donc en cours, et en attendant, un livrable final documentant cette première saison thématique verra prochainement le jour !
Marie-Cécile Godwin (facilitatrice) :
« Ces ateliers et ces échanges vont venir enrichir ma pratique de designer au-delà de cette collaboration fructueuse avec Le Damier. Forte d’une meilleure connaissance des troubles, des ambitions et des espoirs des acteurs et actrices des ICC, je vais pouvoir enrichir en continu mes missions de conseil, de conception et d’animation d’ateliers. »
Un grand merci à l’équipe du Damier et particulièrement à Matty Raphanaud pour son accueil, ainsi qu’à Marie-Cécile Godwin pour la facilitation des ateliers, et à l’ensemble des structures de la promo 2024 : ChoréActif, Ville de Clermont-Ferrand, UCA, TMNLab, La Hutte Studio, GRETA Auvergne Pôle Plurimédia, Campus « design, matériaux et innovation », ESACM, Rectorat de Clermont-Ferrand, Clermont Auvergne Métropole, CNFPT, France Travail Scènes et Images, Auvergne-Rhône-Alpes Spectacle Vivant, La Coopérative de Mai, Le DAMIER.
À propos du Damier
Cluster d’entreprises culturelles et créatives, Le DAMIER rassemble plus de 70 structures sur le territoire auvergnat. Il accompagne la filière culturelle et créative, à travers cinq missions : Fédérer, Développer, Promouvoir, Innover et Transformer.
Contacts :
- Matty Raphanaud – Le Damier : matty@ledamier.fr
- Marie-Cécile Godwin – Design critique, UX Research, enseignement : mc@mcgodwin.com
Portfolio : mcgodwin.com
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