En novembre dernier, parallèlement à la Biennale des Imaginaires Numériques organisée à la friche La Belle de Mai par Chroniques, se tenait le Forum régional entreprendre dans la culture. À cette occasion, le TMNlab était invité à présenter le diagnostic « Compétences & Métiers d’avenir » puis à modérer un échange autour de trois initiatives et autant de grain à moudre pour élargir la réflexion :
- le LaboFriche ; un espace-temps de réflexion au cœur de la Belle de Mai
- l’approche du PEPR ICCARE autour de la recherche-création (lire ci-dessous)
- passer la marche de l’international avec l’Institut Français
Interdisciplinarité et « recherche-création » au cœur du programme de recherche national Industries culturelles et créatives (PEPR ICCARE)
Sylvia Girel est professeur des universités et sociologue, Coordinatrice de l’Observatoire des publics et des pratiques de la culture et responsable scientifique du programme PubLiCS, et référente recherche/création pour le Programme national de recherche Iccare sur les industries culturelles et créatives (CNRS).
Lila Neutre est artiste – la première à avoir obtenu le doctorat de l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles en partenariat avec Aix-Marseille Université. Sa carrière mêle la pratique artistique et les sphères académiques, au carrefour de plusieurs champs disciplinaires : art contemporain, photographie et vidéo, sciences sociales.
En quoi ce programme de recherche ICCARE diffère-t-il de ce qui se fait habituellement dans la recherche en sciences humaines et sociales (SHS), comment le collectif s’est constitué et quelles sont les valeurs, les convictions partagées ?
Sylvia Girel et Lila Neutre : « Le programme de recherche ICCARE se distingue des approches habituelles en sciences humaines et sociales par son caractère résolument interdisciplinaire, sa volonté de co-construire les projets, les actions avec des acteurs des industries culturelles et créatives. Contrairement aux projets qui mobilisent habituellement des structures institutionnelles ou équipes de recherche déjà constituées, Solveig Serre et David Coeurjolly ont construit le groupe de travail ICCARE en s’appuyant sur des experts choisis individuellement. Tous et toutes sont des expert.es identifié.es pour leurs compétences et réseau spécifiques, leur parcours et leur fort ancrage dans les mondes artistiques est culturels.
« ICCARE favorise aussi l’interaction entre plusieurs champs disciplinaires, entre les structures, car chaque secteur est coordonné par une équipe composée de professionnels des industries culturelles et créatives, de chercheurs en SHS mais aussi en informatique. Le collectif s’est formé autour de l’idée que la recherche devait être non seulement un outil de compréhension, mais aussi un levier de transformation sociale, et que la production de connaissances nécessaire à la transformation et adaptation aux enjeux numériques, économiques et sociaux de demain peut émerger de ce travail collaboratif. Le travail repose sur une dynamique collaborative et une volonté très claire de sortir des silos professionnels et disciplinaires. Nous pensons que cette approche permet de croiser les regards et de produire des résultats pertinents sur les plans scientifiques, culturels et opérationnel. Enfin, la recherche est orientée vers les enjeux sociétaux de demain et impose d’adopter une posture de réflexivité sur les pratiques et les impacts de la recherche et de la création. »
Plus précisément sur le secteur « arts visuels et arts numériques » que vous coordonnez toutes deux ; quelles seront vos priorités pour développer le travail collaboratif et l’accélération attendue pour le secteur des arts visuels et des arts numériques ?
Sylvia Girel et Lila Neutre : « Pour développer le travail collaboratif et répondre à l’accélération attendue dans le secteur des arts visuels et numériques, notre priorité sera de faciliter les échanges entre artistes, chercheurs en SHS, informaticiens et opérateurs culturels. Cela passera par l’organisation de rencontres régulières et la mise en place d’outils communs, comme des plateformes numériques partagées permettant d’échanger et de documenter les avancées du projet de recherche, mais il s’agira aussi de s’appuyer sur les réseaux existants, de faciliter l’interconnaissance. Nous lancerons notre programme en janvier, en nous appuyant sur la Biennale Chroniques puis organiserons nos premières journées d’accélération en 2025 autour des questions de soin dans le domaine des arts visuels et des arts numériques. Nous travaillons actuellement au recensement, à l’échelle nationale, des projets, programmes qui œuvrent déjà à la croisée de la recherche en SHS et des ICC, des structures (laboratoires de recherche, festivals, plateformes, résidences d’artistes, lieux d’accompagnement, de production, de diffusion et de collection, etc.) et des acteurs. Nous souhaitons tout d’abord partir de l’existant pour établir un état des lieux de ce maillage artistique et culturel déjà très actif. Des appels à manifestation d’intérêt et des petits projets seront publiés au fil de l’eau pour nous accompagner dans cette tâche. »
À propos du programme dans son ensemble dont vous, Sylvia Girel, êtes référente ; en quoi la « recherche-création » constitue un format pertinent pour valoriser, développer les liens entre les sciences humaines et sociales et les ICC ?
Sylvia Girel : « La diversité des projets, des programmes et des réalisations/événements proposés ces dernières années dans le domaine de la recherche-création, leur augmentation, l’engagement significatif de certains chercheurs et chercheuses dans ce champ, mais aussi la perplexité d’autres quand l’art s’invite dans la démarche scientifique, engagent en effet à mieux connaitre et valoriser la place de la recherche/création dans la production des connaissances et la transmission des savoirs aujourd’hui. Du côté des mondes de l’art, ce processus s’inscrit plus largement dans un contexte d’évolution des pratiques des artistes qui ont particulièrement investi ces dernières années des thématiques d’actualité et des sujets de société qui sont au cœur des recherches en SHS, mettant aussi en place des modalités de travail, des expérimentations qui croisent sur bien des points celles mises en œuvre par les chercheurs et chercheuses. Il y a donc un double mouvement de fond qui engage à dépasser des approches où l’art est au service des SHS, où les SHS sont au service de l’art pour viser « une problématisation de la pratique artistique en vue de produire de nouveaux savoirs esthétiques, théoriques, méthodologiques, épistémologiques ou techniques« . »
« Tout d’abord, il nous apparaît nécessaire, pour consolider ce champ encore émergent en France, d’en structurer les contours académiques, institutionnels et méthodologiques. En recensant et connectant les différentes écoles doctorales et écoles d’art qui portent ces programmes, nous voulons favoriser la discussion et la coordination autour d’une réflexion commune d’harmonisation des formats et des attendus. »
« Il nous faut à la fois travailler à la reconnaissance académique de ces doctorats et en identifier et valoriser les spécificités (notamment françaises, en comparaisons des modèles européens et canadiens). En intégrant la recherche-création aux dynamiques des ICC, ICCARE se place comme un espace de réflexion et d’innovation pour explorer les interactions entre pratiques artistiques, technologies émergentes (intelligence artificielle, réalité virtuelle, etc.) et enjeux écologiques de demain. Il permet aussi de positionner la recherche-création comme un levier stratégique à l’intersection de l’art et de la société. »
Contexte du programme
Les industries culturelles et créatives (ICC) sont une filière de premier plan, essentielle au rayonnement économique et culturel de la France. Afin de les accompagner et de les soutenir, l’État en a fait une de ses stratégies d’accélération et a confié au CNRS le pilotage du programme de recherche national Industries culturelles et créatives (PEPR ICCARE), qui constitue le volet recherche de cette stratégie. Doté d’un montant de 25 M€ pour une durée de six ans, ICCARE a pour objectif de mener une action constante entre les communautés de recherche (sciences humaines et sociales/sciences informatiques) dans une démarche de co-construction, de co-réalisation et de co-valorisation, afin d’aider la filière ICC dans sa transformation et adaptation à des enjeux numériques, économiques et sociaux.
À propos de Chroniques
Conçu dans le contraste et la diversité d’une double identité marseillaise et aixoise, CHRONIQUES est, aujourd’hui, un rendez-vous artistique international reconnu mais aussi une organisation humaine dont l’obsession n’a pas changé depuis plus de 20 ans : la recherche de nouvelles esthétiques et imaginaires qui éclairent l’ambivalence de notre rapport aux technologies.
Est-ce la nature d’une organisation humaine ou ses actions qui la définissent le mieux ? Sommes-nous une biennale, une plateforme, un réseau, un label ? Ou bien ce que l’on fait : des expositions, du soutien à la création, des formations, des rencontres ? Tous ces mots sont justes et pourtant aucun ne nous renseigne sur la singularité de CHRONIQUES. Pour la saisir, il convient de formuler une autre hypothèse : être ce qu’on imagine.