La transformation numérique du secteur du spectacle vivant passe notamment par la transformation numérique des organisations elles-même : transformation des outils, transformation des compétences, transformation des processus de travail et parfois jusqu’aux modes de gouvernance.
Dans un milieu professionnel majoritairement constitué de petites et moyennes structures, rarement dotées d’une DSI (direction des services informatiques) ou d’un service du numérique, où les fonctions RH sont sous développées, ce sujet est traité de façon très hétérogène.
Impacts et impensés
Pourtant, les solutions numériques de travail (logiciels en ligne ou locaux) et les infrastructures induites (équipements numériques, des ordinateurs aux douchettes pour scanner les billets en passant par les consoles de régie) sont des clés essentielles pour structurer nos modes de travail en régime numérique.
Non exemptes de biais, les solutions choisies ont souvent des impacts importants :
- cognitifs : certains outils ne sont pas fait (ex : utilisation de Whatsapp en milieu professionnel) ou bien pensé (ex : digitalisation des entretiens annuels par la solution Lucca) pour le contexte professionnel. Ils peuvent heurter le droit à la déconnexion dans un milieu où les horaires et planning au sein d’une même équipe peuvent être très divers et amples, ils peuvent participer à déshumaniser la relation parfois déjà fragile, ils peuvent impacter l’attention en démultipliant les canaux et en créant des inégalités d’accès à l’information – là où l’intention louable était l’inverse. Un outil n’est jamais neutre et doit être pensé dans une vision organisationnelle globale, spécifique au regard du lieu concerné, de son équipe, de ses usages.
- sur les ressources humaines : le développement de l’écosystème numérique d’une organisation nécessite une gestion des compétences en administration technique et en utilisation quotidienne. Parfois cela implique un recrutement ou une réorganisation RH.
- sur le temps de travail : un changement implique une « gestion du changement » qui prend du temps, de la formation, du suivi. Si l’interopérabilité est bien pensée ou non, cela peut aussi avoir des impacts très importants sur le temps de travail.
- écologique : le choix d’une solution doit répondre à un diagnostic des besoins et être évaluée intrinsèquement (ex : la solution est-elle écoconçue ? comment est-elle hébergée ?) et aux regards des impacts induits (ex : faut-il renouvelé le parc matériel ?). Quel message aux publics, aux partenaires, aux artistes le choix d’une solution envoie-t-il (brain print) ?
- souveraineté : dépendance à des fournisseurs et éditeurs privés et étrangers, enjeu de maîtrise des données, coût induit pour la collectivité et utilisation de l’argent public, non mutualisation des investissements publics…
- juridique : notamment en terme de conformité RGPD
Souvent, ce sont des impensés.
Au TMNlab, nous travaillons particulièrement cette année 2024 sur les impacts humains, écologiques et sur les enjeux d’interopérabilité. Dans cette réflexion, fidèle à son ADN, la Communauté explore aussi :
- le monde de l’open source (lire à ce propos le rapport de Ouishare ou la note de OW2 sur l’apport du logiciel libre à la durabilité des équipements
- les modèles économiques coopératifs dans le développement de solution pour des enjeux de durabilité, de souveraineté, de partage de la valeur
Impact humain : des compétences à développer pour comprendre les enjeux et piloter la transformation numérique au plus près des équipes
Le sujet de la transformation numérique est généralement sous investi, cantonné à un problème d’outils ou de communication. Il est donc assez peu intégré aux projets de gestion des compétences, à tout niveau : les dirigeant.es, les chef.fes de service comme les membres plus opérationnel.les des équipes sont concernés.
Nous observons sur le terrain aussi bien des blocages de principes que des pratiques enthousiastes, qui en général partagent le même besoin de développer une vision, une compréhension plus complète du numérique. L’Etat des lieux publié en 2021 montre une protection encore timide, par exemple, du droit à la déconnexion (démarche engagée pour seulement 1/3 des structures) ou de la prise en compte de la surcharge liée au numérique perçue par plus de 60% des répondants.
La lecture du Diagnostic Compétences & Métiers d’avenir publié en 2023 est un point de départ pour comprendre ces questions. La communauté travaille à construire un écosystème apprenant plus vaste et à faire changer les regards sur le fait numérique et son impact métier.
Impact écologique : une grande hétérogénéité mais des initiatives modèles
L’infrastructure est le plus gros impact du numérique à l’échelle mondiale. Mais l’infrastructure est fortement impactée par les choix logiciels. Les solutions « responsables » doivent être :
- écoconçues : au regard par exemple du Référentiel général d’écoconception de services numériques
- éco-hebergée : leur hébergement doit être le moins impactant possible, que ce soit en terme d’emplacement géographique, de modalité d’alimentation et de refroidissement des serveurs…
- durable : le matériel pour l’utiliser doit avoir la plus grande longévité, voir pourvoir être issu du réemploi, or l’innovation pousse souvent au renouvellement vers les technologies les plus récentes et obligent à changer des parcs matériels pourtant encore opérants (obsolescence)
Du côté des sites internet, de plus en plus d’agences web se forment au regard de ces enjeux. Mais les structures n’ont pas toujours cela en tête lors de la rédaction de leur cahier des charges. 23% des structures se méfient de l’impact écologique du numérique (source : Etat des lieux 2021) et les professionnel.les ont besoin d’outils d’aide à la décision, de formation, pour dédiaboliser certains sujets et se concentrer sur les vrais impacts – en s’appuyant sur des diagnostics locaux.
Du côté des billetterie, le sujet est très peu investi voir ignoré. Pourtant, des acteurs émergent comme on a pu le voir aux BIS 2024 grâce au travail de Corinne Lefebvre qui a organisé une table-ronde Billetterie et Green IT. Les initiatives que nous avons pu observer du côté de Supersoniks (modèle de gouvernance, gestion du parc matériel, intégration d’enjeux de mobilité dans le parcours spectateur…) ou de Mapado (développement de solution sur la mobilité) sont éclairantes.
Interopérabilité : un état des lieux encore partiel, des usages en développement
Si du côté de la Billetterie nous disposons d’un état des lieux de l’interopérabilité publié par Ticketr en 2023, il n’existe pas pour les autres solutions professionnelles.
Pourtant, c’est un sujet clé pour gérer la complexification des tâches et la charge de travail des équipes : synchronisation comptables, automatisation des déclarations obligatoires de plus en plus nombreuses, connexion entre la planification des équipes et la gestion RH (paie, contrats, congés…), suivi de la relation spectateur dans l’ensemble de son parcours, découvrabilité de l’offre culturelle, pilotage grâce à de la donnée unifiée… Les usages sont nombreux.
Aujourd’hui, les besoins sont clairs :
- comprendre ce que signifie interopérabilité et permettre aux professionnels d’intégrer ces sujets dans leur choix de solution, mais aussi de penser leurs différents outils comme part d’un écosystème global de la structure et non pas outils isolés
- référencer les solutions et leur interopérabilité pour faciliter la prise de décision pour les équipes des lieux
- s’organiser collectivement pour peser sur le développement de l’interopérabilité des solutions métiers
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Photos : Lucie Bouchet intervenant dans l’espace DD des BIS 2024 dont elle a admirablement tissé la programmation en créant de belles rencontres. Au BIS nous y avons parlé de Green IT, et dans les autres espaces d’interopérabilité et autres sujets à suivre.