À la Maison des Métallos, une balade sentimentale augmentée

Coup d’œil sur le projet de médiation numérique dans le cadre de la CoOP de mars 2022 et du spectacle Je passe de Judith Depaule

La transformation d’une CoOP en résidence de création numérique

En février 2021, la Maison des métallos devait présenter la CoOP de Judith Depaule conçue en lien avec les deux structures dont elle a la direction artistique : la compagnie Mabel Octobre et l’Atelier des Artistes en Exil. Intitulée On tricote nos histoires, cette CoOP avait l’envie de créer du lien entre les individus par delà les frontières, avec comme point d’orgue des récits d’exil mis en scène sous la forme du spectacle Je passe. Compte tenu des conditions sanitaires, la CoOP n’a pas été présentée au public.

Résolument engagée dans son envie de soutenir les artistes dans ce contexte difficile, la Maison des Métallos a proposé à Judith Depaule et ses équipes de transformer ce mois de programmation en résidence de création au 94 rue Jean-Pierre Timbaud. C’est lors de cette résidence qu’est né le projet de Balade sentimentale augmentée, œuvre hybride, à la fois prolongement, complément et dispositif de médiation du spectacle Je passe.

De Je passe à la Balade augmenté, le numérique comme passerelle relationnelle

(…) Je passe propose un focus sur le moment fatidique du passage de la frontière pour celles et ceux qui décident de la franchir pour ne plus revenir, laissant derrière eux une terre, une maison, des parents, des amis. (…) Ils se racontent. Tandis que leur portrait vidéo regarde le public, les comédien.ne.s donnent à entendre très sobrement leur récit (…).

Présentation de Je passe sur le site de Mabel Octobre

Travaillant à partir de la capacité du numérique à créer un lien intime entre le spectateur et la personne qui témoigne, le spectacle Je passe propose une nouvelle modalité relationnelle via le numérique dans un espace clos et restreint par des conditions matérielles. Confinés et troublés par la crise sanitaire, les acteurs de la résidence de février 2021 ont eu la volonté de réinvestir l’espace public et de repenser la relation au spectateur dans ce seul espace disponible. La rue devenue inerte sous le coup des restrictions sanitaire avait la possibilité de redevenir un lieu essentiel de la Culture et de reprendre son rôle de scène du réel.

À partir du protocole utilisé pour le spectacle, Judith Depaule et les comédiens de Mabel Octobre ont commencé à recueillir les récits d’exil dans le quartier du Bas Belleville, quartier populaire où se situe la Maison des Métallos. La collecte audiovisuelle des récits du quartier du Bas Belleville, conçue comme une enquête anthropologique, a permis de former une base documentaire sensible, un matériau dramaturgique dans la poursuite du spectacle Je passe, un écho qui résonne à l’extérieur de la salle de spectacle.

C’est de cette matière foisonnante et passionnante qu’est née l’envie de la mettre en scène en lien avec le spectacle mais en dehors des murs des institutions car elle est, et restera, le patrimoine de ce quartier.

Comme pour Je passe, les équipes artistiques ont souhaité utiliser le numérique, qui a le double avantage de favoriser la mise en relation et d’organiser dans l’espace les récits. A ce titre, il est la meilleure passerelle pour créer un lien entre d’un côté Je passe et ses spectateurs et de l’autre la Maison des Métallos, ses usagers et les habitants du Bas- Belleville. C’est ainsi qu’est né le projet de cette balade aidé du numérique pour découvrir la mise en scène des récits d’exil du quartier et créer un lien avec le spectacle.

La balade sentimentale augmentée : faire lien de part et d’autre de l’institution

La balade sentimentale augmentée est une « œuvre de médiation », forme hybride entre le dispositif de médiation numérique et un projet artistique autonome. À ce titre, elle sera un point d’entrée à la CoOP et au spectacle de Judith Depaule en mars 2022, date de la reprogrammation du projet à la Maison des Métallos. Son originalité réside dans deux caractéristiques majeures : d’une part, la solution technologique qu’elle utilise, l’application Dérive développée par le studio de création numérique hérétique, qui favorise la déambulation et la flânerie urbaine ; d’autre part sa proposition artistique de faire découvrir la mémoire collective d’un quartier par les récits de ses habitants, associés à des ressources documentaires (tout en traçant un parallèle avec la CoOP).

Faire une autre expérience de la ville

Dérive engage l’utilisateur à expérimenter un déplacement différent en ville ; elle prend la forme d’une boussole qui permet de s’orienter vers un lieu, sans notion de durée, ni de tracé prédéfini. Sobre écologiquement et respectueuse de la vie privée, l’application favorise un déplacement piéton qui redonne toute sa place à l’exploration et à la surprise en faisant appel à l’intuition et au lâcher-prise. Associée à un site web dans lequel sera répertorié l’ensemble des témoignages d’exil du Bas Belleville (organisé/mise en scène par Judith Depaule), son fonctionnement souple et efficace permettra aux utilisateurs de découvrir les récits du quartier et par extension la CoOP de Judith Depaule à la Maison des métallos.

L’aspect sentimental de la balade tient à la volonté de Judith et de la compagnie Mabel Octobre d’organiser les récits selon les lignes invisibles qui traversent le territoire et de laisser le choix à l’utilisateur de poursuivre les lignes qui lui tiennent à cœur.

Enfin son caractère augmenté est un autre écho au spectacle Je passe : lors de la présentation de la CoOP en mars 2022, les acteurs du spectacle rejoindront avant et après les représentations, les « zones de récit » (lieu où l’on peut découvrir un témoignage) pour y proposer une performance dans l’espace, qu’il soit public ou privé. Ces performances prendront pas la forme d’action du quotidien et de l’infime. Elles visent à jouer sur cette notion de dedans/dehors, à la manière dont les récits de la balade comme de Je passe amène à découvrir l’intime.

https://www.youtube.com/watch?v=3AKbEY3ejGo

La balade sentimentale augmentée sera d’abord proposée à la Maison des Métallos, durant le mois de mars 2022, à l’occasion de la CoOP intitulée On tricote nos histoires, durant laquelle l’artiste Judith Depaule présentera son travail et celui de l’atelier des artistes en exil qu’elle dirige. La balade sera ensuite accessible à toute personne qui souhaite en faire l’expérience par le biais QR code disposé dans les « zones de récit ».

Artistes et développeur

Judith Depaule

Très engagée, Judith Depaule a été comédienne, traductrice de russe – elle écrit une thèse sur le théâtre dans les camps staliniens – et dramaturge. Elle est aujourd’hui auteure et metteuse en scène au sein de sa compagnie Mabel Octobre fondée en 2001. Là, elle crée le plus souvent ses propres textes et des spectacles qui entrelacent recherche documentaire et medium multimédia, vidéo, animation d’images, mixage en direct ou musique live. Une manière contemporaine d’interroger les liens entre théâtre, politique et engagement. Ce n’est donc pas un hasard si elle a cofondé avec Ariel Cypel, l’Atelier des artistes en exil, qui accueille en résidence quelques 200 artistes qui ont dû s’exiler du fait de leur production artistique ou des positions politiques qu’ils/elles tenaient dans leur pays.

Hérétique

Le studio de création numérique hérétique développe depuis plusieurs années une expertise sur la création d’un numérique respectueux de ses utilisateurs. Hérétique navigue à la frontière entre think-tank, studio de développement, maison d’édition et agence de conseil pour penser, créer et transmettre des numériques alternatifs. Les membres d’hérétique sont chercheurs, designers, programmeurs, dessinateurs et plus encore. Sa réflexion s’appuie sur une analyse éclairée des technologies actuellement à l’œuvre pour proposer une autre possibilité du numérique.

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