« Festival Expériences, un espace de dématérialisation et de partage à travers de nouvelles formes d’expériences individuelles ou collectives. » Paul Rondin

Paul Rondin, directeur délégué du Festival d’Avignon, présente le projet Festival Expériences, réalisé avec la Caisse des dépôts. L’occasion d’une réflexion sur les opportunités qu’offre le digital au spectacle vivant et la nécessité aujourd’hui d’investir et de maîtriser cette dimension.

Cet article est composé d’extraits d’interview réalisée par Francis Cossu pour le Festival d’Avignon et Carolina Tomaz pour l’ADN.

« Un véritable territoire numérique »

Francis Cossu : Dès votre arrivée, le Festival d’Avignon a investi le numérique et ouvert la voie à de nouveaux modes de productions de contenus, de nouvelles façons de dialoguer avec son public. Quel est le sens de cet engagement ?

Le Festival se situe toujours à un endroit d’exigence populaire. Cela implique qu’il ne doit jamais baisser la garde sur les contenus et les proposer à tous. Dès 2014, nous avons utilisé et construit des outils numériques pour rester en dialogue avec les non-publics – je pense aux 15-30 ans. Il y a eu un travail actif de terrain avec des projets comme les « jeunes reporters culture » formant aux reportages culturels des jeunes de toutes origines et des quartiers d’Avignon, leur apprenant comment utiliser les outils numériques pour prendre la parole. Cette immersion active les plonge dans un monde à côté duquel ils vivent sans le connaître et leur rappel que le Festival existe chaque été aussi pour eux.

Cofondateurs de la French Tech Culture, nous avons mis en place un cadre innovant donnant au Festival d’Avignon un fort pouvoir d’attractivité auprès des acteurs de la production numérique, et ce de par le monde. Nous nous sommes également associés au projet des Micro-Folies, réseau d’espaces culturels et numériques piloté par La Villette (Paris). Nous transmettons aussi une expérience du Festival d’Avignon en diffusant des spectacles ou des supports audiovisuels au service de la pédagogie grâce au réseau Canopé.

Tous ces contenus de tous formats, témoignages de la scène ou créations pour Internet s’adressent aux amoureux du spectacle et vont également à la rencontre de publics n’ayant pas accès au Festival pour des raisons économiques, médicales ou géographiques. Ces projets font que nos équipes sont toujours dans l’étude, la recherche, l’expérimentation de l’alliance de ces très anciens médias que sont la danse ou le théâtre avec les nouveaux, ceci afin d’agrandir son périmètre d’intervention.

Ce développement numérique a conduit le Festival à inventer une autre manière de travailler et un nouvel outil, Festival Expériences, un média qui diffuse des contenus créatifs et la mémoire du Festival.

Francis Cossu : Pourquoi avez-vous choisi de dissocier ce projet du mode de gestion associatif ? A-t-il été facile de trouver des investisseurs pour créer cette filiale du Festival d’Avignon ?

Le Festival n’avait ni les moyens humains, ni financiers pour recréer une nouvelle activité afin de valoriser son savoir-faire et sa marque, comme de les faire vivre au-delà de chaque édition. Nous avons décidé de nous doter d’un outil complémentaire et de créer une filiale du Festival d’Avignon, la société FXP – Festival Expériences, pour valoriser nos actifs immatériels et avec comme objectif aussi d’augmenter nos recettes propres. (…)

Francis Cossu : Dématérialisation des contenus créatifs, décentralisation grâce à l’itinérance et aux tournées : les expériences physiques et numériques du Festival ont toujours repoussé ses frontières. Quel est aujourd’hui son territoire ?

(…) Désormais, avec nos projets et grâce à cette offre, le Festival a aussi un véritable territoire numérique, c’est à dire un espace de dématérialisation et de partage d’une partie de ses pratiques à travers de nouvelles formes d’expériences individuelles ou collectives. Ce qui est passionnant, c’est que ce territoire ouvre des champs nouveaux. Il permet de dialoguer différemment avec les publics en proposant des formats inhabituels. Il oblige le Festival à adapter son pouvoir de convocation du public, à imaginer de nouvelles formes d’assemblées, pour augmenter sa communauté et rendre sa mémoire vive accessible au plus grand nombre.

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« L’idée qu’on cherche à développer sur le numérique, c’est l’expérience : vous n’achetez pas du Festival d’Avignon sur une plateforme, mais une expérience du Festival d’Avignon. »

Carolina Tomaz : Quelle place prennent le numérique et l’innovation dans la stratégie de rayonnement du Festival ?

Un festival comme Avignon ne peut plus passer par les médias habituels pour s’adresser à certaines populations, notamment les jeunes. Alors que faire ? On va les chercher sur leurs propres réseaux, pour leur faire produire eux-mêmes des contenus, qu’ils regardent et partagent. On a initié la French Tech Culture, on a monté une web TV pour former des adolescents au journalisme et au reportage autour de la culture… Et ça nous permet d’entrer par effraction dans ces réseaux.

Ensuite, on développe d’autres projets, on voit des gens arriver à nous, on prend par exemple part aux Micro-folies, ces musées numériques qui permettent d’apporter une expérience festivalière audiovisuelle, dans des quartiers populaires, partout en France.

Forts de tout cela, on a pris la mesure des contenus audiovisuels produits par des partenaires du Festival depuis près de vingt ans. Souvent des choses merveilleuses, rangées sur des étagères en attendant qu’elles s’abîment. Nous avons alors décidé de monter une filiale FXP, avec la Caisse des Dépôts et consignations et le groupe Fiminco – le Festival étant le troisième actionnaire majoritaire.

Avec cette structure, nous souhaitons avoir l’agilité nécessaire pour produire du contenu numérique et audiovisuel, et élargir le patrimoine du Festival. Et par élargir, j’entends l’éditorialiser, le préserver et le rendre accessible. Prenons un exemple : nous produisons une master class d’Olivier Py, 90 minutes où il partage ses trente ans de carrière. L’équipe de FXP y a agrégé 20 ou 30 heures de contenus, disséminés un peu partout et souvent oubliés dans les limbes de l’audiovisuel. Il parle du Soulier de satin ? Vous cliquez, et vous accédez au Soulier de satin, parce qu’on a racheté les droits.

Cette filiale, complètement imbriquée avec l’association du Festival, permet d’inventer sans arrêt et de répondre à des nouveaux usages. On a encore fait l’expérience il y a quinze jours en Chine, avec une master class sur Le Roi Lear, sur une mise en scène d’Olivier Py au Festival d’Avignon 2015. En dix jours, 300 000 personnes ont regardé le contenu disponible !

Carolina Tomaz : Quel modèle visez-vous à terme pour FXP ?

Aujourd’hui, il y a un modèle beta qui nous sert à tester, à convaincre. Nous distribuons sur des plateformes tierces, comme en Chine, mais nous aurons à terme notre propre plateforme.

En termes de modèle économique, il y aura bien sûr l’abonnement individuel, mais on imagine aussi cibler les institutions, privées ou publiques : par exemple, une université américaine peut avoir envie d’abonner ses étudiants à des master classes et des contenus du théâtre français, de danse contemporaine internationale… Car nous avons 50% de productions françaises, 50% de productions internationales – c’est la force du Festival. Même si la négociation des droits est toujours une vaste entreprise !

Mais l’idée qu’on cherche à développer, c’est bel et bien l’expérience. Vous n’achetez pas du Festival d’Avignon sur une plateforme, mais une expérience du Festival d’Avignon.

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