Interrogée par News Tank Culture, Marie-Pia Bureau revient notamment sur la création d’un tiers-lieu au sein de la Scène Nationale de Chambéry.
« Pendant ces deux saisons hors les murs, une moitié des spectacles a été accueillie au Théâtre Charles Dullin mis à notre disposition par la Ville de Chambéry. L’autre moitié de la programmation s’est déroulée parfois dans des salles partenaires, le plus souvent dans des lieux atypiques, intérieurs ou extérieurs. Finalement, nous avons comptabilisé presque le même nombre d’entrées que sur une saison avec grande salle, mais la différence réside en ce que nous avons touché de nouveaux spectateurs. Certaines personnes, qui n’étaient pas des spectateurs réguliers, voire n’étaient jamais entrées dans un théâtre, sont venues découvrir des spectacles du fait de la nouvelle proximité induite par la configuration hors les murs. À l’inverse, des spectateurs habitués n’ont pas vu de spectacles pendant ces deux années, préférant retrouver le confort de l’équipement après les travaux. Les spectateurs sont hétérogènes, ont des attentes différentes. Notre objectif aujourd’hui est de réussir à retrouver cette hétérogénéité dans notre lieu rénové » indique Marie-Pia Bureau, directrice de Malraux – Scène nationale Chambéry Savoie, à News Tank le 27/11/2019. La Scène nationale rouvrira ses portes au public le 02/12/2019.
Marie-Pia Bureau revient par ailleurs sur l’installation d’un tiers-lieu culturel – La Base – au sein du bâtiment rénové. La Base sera gérée par une association comprenant la Scène nationale, trois compagnies du bassin chambérien et une équipe de restaurateurs, et fonctionnera sur un principe d’économie circulaire. « L’expérience vécue dans le cadre de ces deux saisons nomades a été telle qu’il est impossible de revenir dans nos murs de la même manière que nous les avions quittés deux ans plus tôt. Je suis convaincue qu’il faut laisser entrer dans le théâtre une demande qui y avait très peu droit de cité jusqu’alors, faire confiance aux propositions qui émanent du territoire et ce dans une acception très large de la notion même de culture. (…) L’installation d’un tiers-lieu culturel prend son sens dans le questionnement qui nous anime autour de l’usage des lieux publics, du partage des prises de décision, de l’ouverture aux propositions issues d’autres que nous », indique-t-elle.
Bilan des deux saisons hors les murs, installation d’un tiers-lieu culturel au sein du bâtiment rénové, fonctionnement et modèle économique de ce tiers-lieu, Marie-Pia Bureau répond aux questions de News Tank.
À l’occasion de la fermeture pour travaux de son bâtiment, la Scène nationale de Chambéry a déployé deux saisons hors les murs. Quel bilan en faites-vous ?
« La période de travaux a été l’occasion d’expérimenter de nouvelles façons de travailler avec le territoire »
Le bilan est très positif. Cette période de travaux a été l’occasion pour toute l’équipe du théâtre d’expérimenter de nouvelles façons de travailler avec le territoire, de construire une programmation avec des acteurs locaux. Nous avions vraiment ce désir de construire différemment avec ceux qui nous entourent. Nous ne sommes pas arrivés en imposant des choses mais avec le souci d’un échange réel avec les autres opérateurs culturels et le monde associatif. Les différents partenariats engagés ont permis de proposer des formes artistiques différentes dans des lieux inédits et parfois même insolites. Par exemple sur des pistes de ski, sur sollicitation du Maire des Déserts qui souhaitait un événement culturel dans la station de La Féclaz. Nous avons également construit des propositions avec un groupe d’amateurs œuvrant en faveur des musiques électroniques, ou une association de coopération internationale avec le Burkina-Faso… Là où nous avons rencontré de l’envie de faire et de porter ensemble des projets.
La mobilité est souvent considérée comme un frein aux sorties culturelles. Le public vous a-t-il suivi durant ces deux saisons hors les murs ?
Pendant ces deux saisons hors les murs, une moitié des spectacles a été accueillie au Théâtre Charles Dullin mis à notre disposition par la Ville de Chambéry. L’autre moitié de la programmation s’est déroulée parfois dans des salles partenaires, le plus souvent dans des lieux atypiques, intérieurs ou extérieurs. Finalement, nous avons comptabilisé presque le même nombre d’entrées que sur une saison avec grande salle, mais la différence réside en ce que nous avons touché de nouveaux spectateurs. Et, si ces nouveaux spectateurs ne sont pas forcément dans une logique d’abonnement, ils savent désormais que le théâtre leur est ouvert. Certaines personnes, qui n’étaient pas des spectateurs réguliers, voire n’étaient jamais entrées dans un théâtre, sont venues découvrir des spectacles du fait de la nouvelle proximité induite par la configuration hors les murs. D’autres sont venues parce qu’elles sont adhérentes d’associations avec lesquelles nous avons travaillé. À l’inverse, des spectateurs habitués n’ont pas vu de spectacles pendant ces deux années, préférant retrouver le confort de l’équipement après les travaux. Les spectateurs sont hétérogènes, ont des attentes différentes. Notre objectif aujourd’hui est de réussir à retrouver cette hétérogénéité dans notre lieu rénové.
Durant ces deux saisons nomades, nous avons souvent constaté que les spectateurs ne venaient pas seulement pour voir un spectacle mais pour vivre une expérience plus globale. Le fait de changer les rituels d’accès à la représentation attire de nouvelles personnes, c’est un constat. Un théâtre n’est pas juste un lieu de spectacle, il a pour ses usagers une fonction qui a à voir avec la qualité du lien, de la rencontre, du partage qu’on fait avec d’autres. C’est pourquoi notre ambition à la réouverture est de poser les conditions pour que nos espaces fonctionnent réellement comme un lieu de vie ouvert à tous.
En quoi ont consisté les travaux conduits pendant deux ans ?
Les travaux ont consisté à la fois en des remises aux normes du bâtiment (système de chauffage, isolation, système électrique, accessibilité des personnes à mobilité réduite), en des améliorations techniques des espaces de représentation : acoustique, gril, cintre informatisé dans la grande salle (935 places), refonte des salles d’exposition, optimisation d’un studio de répétition pour en faire un lieu d’accueil (jauge de 100 places), et aménagement des espaces d’accueil du public.
Le projet initial de rénovation a été modifié pendant les travaux car nous avons souhaité laisser la place à un tiers-lieu culturel dans l’enceinte du bâtiment. C’est une expérience que nous tentons avec L’Endroit, lieu de fabrique artistique piloté par trois compagnies du bassin chambérien et une équipe de restaurateurs engagés. En termes d’aménagement, ce tiers-lieu disposera d’espaces propres : un vaste espace d’accueil, une cuisine de restaurant, une petite scène, une salle de cinéma, des galeries d’expo, ainsi qu’une salle de répétition. La gestion de cette salle de répétition sera confiée aux trois compagnies avec la mission de la mutualiser avec d’autres.
Comment est née l’idée de ce tiers-lieu culturel ?
L’expérience vécue dans le cadre de ces deux saisons nomades a été telle qu’il est impossible de revenir dans nos murs de la même manière que nous les avions quittés deux ans plus tôt. Je suis convaincue qu’il faut laisser entrer dans le théâtre une demande qui y avait très peu droit de cité jusqu’à lors, faire confiance aux propositions qui émanent du territoire et ce, dans une acception très large de la notion même de culture. Durant ces deux dernières années, nous avons tenté avec des artistes des expériences ludiques, un peu inattendues dans la programmation d’une Scène nationale. Je pense par exemple à un spectacle immersif imaginé par la Cie du Fil à Retordre, « Depuis l’aube ». Les spectateurs étaient mis en situation dans une sorte d’escape game où ils devaient échapper à des zombies… J’étais un peu dubitative au départ de l’aventure. Et pourtant, l’enthousiasme des 20-25 ans pour cette forme, tout autant que l’inventivité de la compagnie m’ont convaincue. Il ne faut pas trop se fixer de limites de bienséance. Nous avons tout à gagner à être poreux à ce qui vient d’autres que nous.
Comment fonctionnera-t-il ? Quel sera son modèle économique ?
Le tiers-lieu fonctionnera sur un principe d’économie circulaire. La Base a reçu une aide sous forme d’avance de trésorerie de France active. Une fois le bâtiment ouvert, les bénéfices du bar permettront de financer les activités du tiers lieu.
La Base est un lieu de vie ouvert en continu tous les jours à partir de midi avec la possibilité de venir y travailler, lire… Des activités seront également programmées au mois selon les propositions émanant de ceux qui ont envie de s’impliquer. Pour l’instant, nous partons sur du cinéma programmé par des associations, des ateliers parents-enfants autour de la nature et d’autres autour de la cuisine, des soirées de débat philosophiques et des DJ set…
Quels liens seront noués entre la Scène nationale et le tiers-lieu au-delà de la seule « cohabitation » ?
La Scène nationale fait partie, avec le collectif L’Endroit et le restaurateur, de l’association gestionnaire du tiers-lieu. Mais La Base et la Scène nationale fonctionnent indépendamment l’une de l’autre. L’installation d’un tiers-lieu culturel prend son sens dans le questionnement qui nous anime autour de l’usage des lieux publics, du partage des prises de décision, de l’ouverture aux propositions issues d’autres que nous. La Scène nationale peut accueillir des projets d’envergure alors que le tiers-lieu ne dispose que de moyens réduits. Mais il est probable que des projets d’abord imaginés et répétés dans le cadre du tiers-lieu soient montés plus tard dans la grande salle. Le monde change et l’installation de ce tiers-lieu est une porte ouverte sur ce monde. On tente quelque chose qui permet à la Scène nationale d’évoluer en étant à l’écoute de ce qui vient. On ne préjuge pas avant de ce que cela va être. On se met seulement en mesure de le laisser entrer.
Cet article, relayé par le service presse de la SN, a été publié par NewsTank le 27 novembre 2019.