A l’occasion de la publication de l’Etat des lieux du numérique dans les théâtres et de la journée professionnelle de restitution-débat du 21 novembre 2016, News Tank Culture a publié un compte-rendu incluant cette interview par Anne-Florence Duliscouet.
Pour quelles raisons vous semblait-il nécessaire de réaliser cet état des lieux du numérique dans les théâtres ?
Faire un état des lieux du secteur était un projet depuis la création du TMNlab. Nous voulions avoir une vue réaliste et exhaustive du secteur, relever les interrogations des professionnels pour affiner les contenus et les outils proposés par le TMNlab. Nous avons commencé à y travailler dès le départ avec plusieurs membres mais très vite est apparue la nécessité d’entrer dans une démarche scientifique et structurée pour avoir des résultats statistiquement valides et donc exploitables. Il s’agissait donc de dresser un état des lieux national. Le MCC a été très réceptif au projet et a soutenu notre démarche en finançant l’étude, qui s’est déroulée de juin 2015 à novembre 2016.
Pour autant le périmètre de l’étude est assez large, il ne se cantonne pas aux théâtres labellisés ou conventionnés avec le ministère…
L’idée est d’être représentatif du territoire, d’être au plus près des lieux, dans leur diversité, pas seulement ceux dans le champ du ministère, qui est le financeur mais pas le commanditaire de l’étude. Nous avons donc approché également des théâtres privés, qui ont été assez peu nombreux à répondre, et des théâtres de ville (hors scènes conventionnées qui relèvent du champ du MCC et donc étaient déjà dans l’échantillon) en choisissant d’interroger les structures adhérentes au SNSP, leur adhésion nous semblant démontrer la présence d’un projet de lieu et d’une stratégie de médiation.
Un des enjeux qui ressort de l’étude est celui de la formation des personnels au numérique, formation qui est la fois souvent insuffisante, voire inexistante, mais aussi, quand elle est proposée, inadaptée aux réalités des besoins des théâtres ?
Oui, la question de la formation mérite qu’on ouvre un débat. Notre rôle est de valoriser les choses qui sont faites au sein des théâtres, tout en les analysant, sous un prisme stratégique : qu’est-ce qui a présidé au choix de mener telle action, quels moyens ont été mis en œuvre, pour quelles publics et avec quels résultats. Nous essayons d’aider ces 47 % de professionnels qui exercent des missions liées au numérique en ayant acquis leur compétence en autodidacte en mutualisant une veille et en partageant des expériences, des bonnes pratiques.
Ensuite, nous voulons que les formations initiales intègrent ces questions et que les formations continues soit plus adaptée, mieux choisies par les professionnels aussi. Seul 27 % des lieux proposent régulièrement des formations sur ces sujets à leurs équipes. Et l’erreur qui est souvent faite est de concevoir la question du numérique par le prisme de l’outil et non par le prisme de l’usage. À partir du moment où on fait cela, on se trompe souvent. On se forme techniquement à l’utilisation d’outils numériques mais pas à penser ce qu’on va en faire ni avec quels moyens. Or la priorité c’est ne pas d’être techniquement pointu mais de savoir exactement ce qu’on va en faire et à qui on va s’adresser, et de comprendre comment ce public cible peut se l’approprier. C’est pour cela que je parle de vision stratégique. Aujourd’hui on a du mal à intégrer les actions numériques dans une vision structurée parce que, bien souvent, ces questions ne sont pas pensées par la direction des lieux.
Globalement, cela souligne un défaut de culture numérique et compréhension des usages. La professionnalisation des métiers de la communication et des relations publiques dans les théâtres a pris du temps. Les équipes de médiation notamment sont historiquement issues de formation en arts du spectacle, donc très orientées contenus, mais pas à « l’expérience utilisateur », au design thinking ; pas à l’ère numérique. Mais doucement ces questions permettent de repenser nos façons de travailler, et la formation est un atout majeur de la mutation de nos métiers.
L’étude a aussi posé la question des personnels à qui confier tout ou partie de ces fonctions, généralement dévolues à la communication. Faut-il amener les équipes de relations aux publics, de médiation, à s’en saisir davantage ?
Tout le monde doit être sensibilisé à ces questions. Nous sommes entrés dans l’ère numérique. Le rapport aux spectateurs habitants d’un territoire n’est plus le même, leur place n’est plus la même. Il s’agit vraiment de renouveler sa vision du rapport au public. Dès lors, le numérique qui innerve la structure modifie les métiers de la communication mais aussi de la médiation, des relations avec les publics (et au-delà l’organisation du travail, les métiers techniques, administratif).
Tout le monde doit s’en saisir. Et cela n’est pas lié à la taille d’une structure mais à une sensibilité. Les théâtres nationaux, par exemple, n’étaient pas les premiers à s’y mettre. De petites structures, avec de petites équipes, peuvent avoir une véritable dynamique. Je pense au TU-Nantes par exemple, qui fait des choses plutôt simples avec une vraie vision, ou à d’autres structures ayant saisi ces enjeux très tôt comme le Phénix à Valenciennes, qui a été pionnier, l’Avant-Scène à Cognac, qui commence mais fait des expérimentations fortes de living lab, ou encore le Théâtre Massalia. Beaucoup de lieux se posent ces questions dans leur projet de direction.
C’est important car cela remet le public au centre du débat Historiquement, dans notre secteur d’activité, le public n’est pas toujours au centre des préoccupations, c’est la question artistique qui l’est. C’est pour cela qu’au TMNlab nous ne parlons pas des artistes, même si nous faisons le lien avec l’artistique, ce n’est pas notre sujet. Notre sujet, ce sont les métiers qui font le lien entre l’artiste et le public. Nous sommes tournés vers le public.
En quoi consiste le projet évoqué d’Observatoire des pratiques numériques ? Va-t-il se concrétiser ?
A partir du moment où l’état zéro est posé, des politiques doivent être menées pour accompagner les structures et nous devront observer l’évolution du secteur, d’où la nécessité d’un observatoire. Formel ou non. Le MCC va en tous cas se saisir des résultats pour orienter des politiques, ses appels à projets, la façon dont il peut soutenir ce développement. Il faut que cette étude soit suivie d’effets, et que nous continuions notre mission au sein du TMNlab en s’appuyant sur ses conclusions – et si nous sommes toujours là dans trois ans, nous referons un état des lieux.