Depuis novembre 2016, Nolwenn Bihan est la jeune co-directrice – avec Laurence Morin – du TU. Arrivée en mai 2007 en tant que chargée de communication, puis responsable du service, elle a toujours suivi l’évolution des pratiques du numérique dans la structure, et souhaite aujourd’hui en faire l’un des axes forts de son projet de direction.
Par Rossana Di Vincenzo
L’état des lieux sur le numérique dans les théâtres réfute l’idée visant à dire que les théâtres seraient en retard par rapport aux musées ou aux salles de musiques actuelles. Pourtant cette image de retard perdure : pourquoi ?
Une des raisons, me semble-t-il, a bien été analysée par Artishoc (cf livre blanc – les relations aux publics connectés). Artishoc met en parallèle le sentiment de difficulté d’accès symbolique aux théâtres, avec des difficultés d’accessibilité numérique des lieux, et notamment du côté la vente des places et de l’accès à l’information. Nos usages de la billetterie sont souvent obsolètes et éloignées des pratiques de fréquentation des lieux, des publics et de leurs différences. Cette question donc de l’accessibilité numérique, de la facilité à avoir accès à une information, d’être proche des pratiques des spectateurs potentiels peut contribuer à donner une image du théâtre éloigné du numérique. Je ne limite pas cette impression de « retard » à la billetterie mais je pense que c’est une grande réflexion à amorcer par les théâtres, ce que les musées et les salles de musique actuelles ont sans doute fait depuis plus longtemps.
De manière concrète, ça veut dire quoi ?
Au TU, nous avons changé nos stratégies de billetterie il y a quelques années. Nous avons fait le choix d’une carte avec la possibilité de choisir ses spectacles tout en bénéficiant d’avantages significatifs. Nous n’avons plus aucune politique d’abonnement mais par contre nous n’avons aujourd’hui aucune réponse numérique adaptée à nos usages et surtout à notre budget ! C’est le chantier pour la prochaine saison.
Arrivée dans la structure en 2007, vous avez pu observer l’évolution de la transition numérique. A votre prise de fonction à la direction, avez-vous pensé à une stratégie en particulier ?
Oui ! Il y a un an, nous avons commencé à travailler avec Pascal Desfarges (NDLR : intervenu en juin 2015 pour une Rencontre TMNlab), avec toute l’équipe, autour des changement que le numérique implique dans nos pratiques professionnelles. Aujourd’hui, pour moi au TU, il ne s’agit plus d’aborder le numérique seulement en termes de moyens ou d’outils mais plutôt de se poser la question du rapport aux publics et aux artistes : qu’est-ce que le numérique change dans le rapport que le public, les spectateurs mais aussi les artistes peuvent avoir avec un théâtre ? Quelles places on leur donne ? L’un des axes du projet du TU est de construire des relations renouvelées entre l’art et les publics à partir des enjeux numériques.
Cela pose donc la question du « Lieu-média » ?
C’est évidemment une question qui est centrale. J’aimerai que le TU puisse devenir un véritable tiers-lieu, en résonance avec son territoire et ses acteurs, en lien étroit avec les artistes, les publics et leurs pratiques. Un lieu qui partage l’exigence artistique du plateau avec une exigence relationnelle.
Quelles actions allez-vous mettre en place pour cela ?
Un premier projet a été de remettre les artistes et leurs paroles au cœur de la communication. Nous avons repensé totalement notre programme de saison. Un changement pour l’heure sur le papier mais directement lié au numérique car à partir du moment où un site internet, les agendas en ligne, et les événements facebook remplissent des fonctions d’information, a-t-on besoin de publier ces mêmes informations en version imprimée ? Il faut penser les supports numériques et papier en complémentarité et non plus en doublons. Nous avons donc imaginé un programme de saison en deux parties, deux épisodes (1 – de septembre à décembre ; 2 – de janvier à avril), abordé non plus de façon chronologique mais comme un magazine avec une dimension éditoriale à partir de cette question : comment enrichir l’expérience du spectateur ? Et comment donner la parole à des artistes peu visibles médiatiquement ? On retrouver donc des dossiers thématiques, des interviews, des chroniques de spectacles, des critiques… Pour réaliser ce magazine, nous travaillons avec un journaliste (Arnaud Bénureau), une librairie partenaire ainsi que des universitaires. Et pour le numéro 2, nous collaborons avec des spectateurs complices, les « amplificateurs », auxquels nous confions la rédaction de tout un dossier … La prochaine étape sera de fabriquer un magazine en ligne qui s’enrichit toute l’année de supports multimédia.
Le magazine numérique sera aussi créateur de lien finalement, entre les étudiants, les artistes, la structure, le territoire…
Exactement, la question du numérique n’est pas tant liée aux outils et aux moyens techniques, qu’aux manières croisées de penser la communication, la billetterie, les actions culturelles, les relations aux publics, aux artistes et aux partenaires.
C’est un projet ambitieux, comment allez-vous faire en terme d’équipe ?
L’équipe du TU est petite, aussi nous nous associons régulièrement à des partenaires média qui ont une excellente maîtrise des outils et des contenus. La saison dernière, nous avons collaboré avec la WebTélé nantaise, Vlipp, pour imaginer 1000 pas avant la scène, une carte de narration interactive qui permet de suivre en vidéo le parcours de Thomas, jeune étudiant de l’université de Nantes dans les différentes étapes du processus de création d’un spectacle. Côté TU, nous avions les contenus, les artistes et les étudiants ; Vlipp, de son côté avait l’expertise média, les compétences de la narration web et du journalisme.
C’est une nécessité pour les théâtres de partager ces savoir-faire ?
Pour moi, c’est indispensable d’avoir de tels partenaires. Il faut aborder le numérique non pas comme une charge supplémentaire pour la communication ou les relations publiques mais comme des projets qui renouvellent la relation aux publics. Il y a peut-être dès lors d’autres pratiques à abandonner… Au TU, nous choisissons souvent de travailler en partenariat sur ces supports. Et ces collaborations peuvent aussi être menées avec des artistes. Pendant deux ans, j’ai travaillé avec Tamara Seilman, une jeune réalisatrice, pour produire des teasers vidéo autour des spectacles du TU. Il était essentiel que ces vidéos aient une signature artistique forte et ne soient pas seulement un support promotionnel.
Vous avez aussi mis en place un projet comme le tumblr photographique “ce qui se joue ». Comment est-il né ?
Ce qui se joue est une résidence photographique racontée sur un tumblr – qui va d’ailleurs donner lieu à une exposition à Nantes. Cette résidence part, d’une certaine manière, d’enjeux très fort de communication en terme d’images du théâtre, ses hors champs, ses coulisses, ses différents acteurs… Il y avait donc une envie d’associer des artistes photographes à la vie du théâtre, d’en dévoiler les coulisses sans aller vers le reportage, de fabriquer des images du TU qui lui soient propres et surtout de revendiquer la valeur artistique de la photographie alors même que nous fabriquons sans cesse des images très fades avec nos téléphones.
Qu’il s’agisse du tumblr ou du storymap “1000 pas avant la scène”, avez-vous constaté un impact sur le public ? Quel bilan tirez-vous de ces actions ?
Nous n’avons pas du tout mesuré leurs impacts, nous n’avons pas pris le temps de faire une analyse précise de ces projets. Cette année, nous avons fait une enquête qualitative très enrichissante sur le programme papier qui nous a permis de valider et d’affiner nos choix, à savoir nous positionner sur ses contenus éditoriaux. Il faudrait maintenant qu’on prenne le temps d’avoir cette même démarche sur les projets et actions numériques.
Êtes-vous optimiste pour la suite ?
Oui bien sûr ! Chaque jour, il y a des idées géniales qui sont développées. Je fais pas mal de veille et dans tous les théâtres, il y a plein d’initiatives très intéressantes et il n’y a aucune raison que ça ne s’amplifie pas. Les théâtres ont un enjeu très fort d’adresse aux publics et de renouvellement des spectateurs. Les théâtres sont toujours en alerte sur ces questions, et l’évolution du numérique est de toutes façons inhérente aux évolutions des pratiques des publics. Les théâtres sont toujours en mouvement.