En 1998, Franck Bauchard (passé depuis à La Chartreuse à Avignon et aujourd’hui directeur de la Panacée à Montpellier) faisait un état des lieux du théâtre face au numérique. L’objet du séminaire auquel cet article se référe était le numérique sur le plateau, l’interdisciplinarité des arts vivants, donc on s’écarte de notre sujet. Cependant les résistances qu’il soulève à l’époque sont, 15 après, toujours présentes. Les identifier permet aussi de mieux les deconstruire. Extrait : Les rapports du théâtre et de la technologie sont aujourd’hui (ndlr:1998) placés sous le signe du paradoxe. Autant la technologie est demandée en coulisse afin de faire progresser les performances de la régie autant il existe une résistance à son exhibition sur la scène. « La technique au théâtre a la réputation d »’être un mal nécessaire, qui entrave l’exercice de l’art plutôt qu’il ne le favorise » déplorait déjà Piscator à la fin des années cinquante, qui ajoutait qu’il était difficile de faire admettre la technique comme une question d’art (« La technique, nécessité artistique du théâtre moderne »). Tout se passe aujourd’hui comme si la recherche de la spécificité du théâtre passait par une sanctuarisation de la scène vis-à-vis des moyens modernes d’information et de communication. Face à la radio, la télévision, et maintenant le cyberespace, le théâtre se définit désormais comme un espace fondé sur la co-présence de l’acteur et du public. Il affirme le vivant contre l’artificiel, l’immédiateté contre la médiation, l’authenticité de la présence contre les vertiges du virtuel. Cette conception se situe consciemment ou inconsciemment dans le prolongement d’un débat esthétique des années soixante. Face aux nouvelles technologies, le théâtre mime ou plutôt singe l’attitude qu’il avait eu face à la télévision. (…) L’introduction de la technologie numérique au théâtre dépasse de simples considérations techniques et même esthétiques, pour alimenter un débat philosophique, voir théologique, sur la présence de l’acteur et la coprésence de l’acteur et du public. Mais face à l’idéalisme métaphysique, il y a peut ‘être « des raisons de douter de cet ordre rassurant des présents » (Derrida, « Spectres de Marx »), des raisons de douter de l’imperméabilité de la frontière entre le réel et son simulacre, le réel et le virtuel.
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